Sons et lumières
Par Maurice Cenier
4 novembre 1974, je n’ai pas encore 18 ans mais cette fois, ça y est, j’entre de plein pied dans la vraie vie. Hier, je découvrais le « Camp Général Bastin » situé à Stockem siège de l’École des Troupes Blindées (ETBl).Je fais partie de la session 11/R avec quatre collègues-candidats sous-officier momentané-(CSOM) et quatre candidats sous-officier de réserve (CSOR).
Ce soir, nous sommes devant le garage B2, notre instructeur nous fait embarquer dans des véhicules blindés et je me retrouve avec Gérard dans un M75. Dès la porte arrière fermée, le moteur démarre et le véhicule s’ébranle dans un fracas d’enfer. La route bétonnée sur laquelle nous roulons amplifie les vibrations et les sons. Je dois avouer que comme premier contact avec un véhicule blindé c’est assez déconcertant. Après 10 minutes, le bruit devient subitement plus supportable car nous sentons que nous venons de nous engager sur un sol de terre meuble.Peu après, nous semblons être arrivés à destination, la lourde porte s’ouvre et nous débarquons rapidement.Notre instructeur nous rassemble pour nous expliquer brièvement que nous devrons écouter, regarder et nous imprégner de ce qui se déroulera devant nous.Nous faisons face à une colline semi boisée qui se découpe sur un ciel d’où émane une légère lueur et parfois une voix métallique étrange.J’apprendrai après coup que nous étions au pied de la montagne de Stockem et que le halo lumineux ainsi la voix provenaient de la gare de triage. Commence alors une série événements et démontrations que nous devons détecter et nous sont également expliqués. De l’homme aisément visible par rapport à l’arrière-plan qui fait craquer les branches et allume une cigarette aux tirs de fusées éclairantes en passant par le déclenchement d’un « trip flare »***, et autres incidents, nous découvrons des choses qui nous serviront durant notre carrière militaire à nous fondre et survivre en environnement hostile. L’exercice dure deux bonnes heures et se termine par le passage de plusieurs véhicules ayant chacun une signature sonore propre et pour la première fois, nous entendons le son caractéristique du CVR-T qui sera bientôt notre monture mais dont jusque-là nous ignorions l’existence.
Lors du retour vers le quartier j’embarque dans un AMX 13 qui me semble déjà moins rébarbatif que l’M75 aux allures jurassique.Le lendemain, les cours sont précisément relatifs à certains des équipements découverts la veille.Nous apprenons à utiliser Trip flare, thunderflash, sim smoke et autres PLF* Le prochain exercice de nuit sera celui de la lanterne.Un parcours à mémoriser et émaillé de pièges qui passe par le chemin noir** et se termine à la piste d’obstacles.
J’y serai la plupart du temps en tête du groupe à balayer l’air avec une baguette pour repérer les fils de trip flare.C’est le début de ce premier mois de formation de base où tant de choses importantes vont nous être inculquées.Je n’imagine pas encore à ce moment que je terminerai ma carrière trente-sept ans et demi plus tard non loin de là.
* Pistolet Lance Fusée.
** Le chemin noir à disparu lors de la construction du contournement d’Arlon qui rejoindra la future E411 dont le chantier durera 18 ans (et dont nous payons les malfaçons encore aujourd’hui)NDLR.
*** Piège pyrotechnique éclairant au phosphore.
L’escadron se déchaine
Maurice Cenier
Notre camp de Bergen se termine et déjà c’est la mise en colonne avant de rejoindre la gare.
Nous nous mettons en route et après une trentaine de minutes sans incident, la partie chenillée de l’escadron s’immobilise sur l’esplanade bétonnée face à deux rames de wagons plateforme déjà à quai.
Nous ne sommes cependant pas seuls à préparer notre arrimage car un escadron du 2Jp – un de nos équivalent néerlandophone – attend lui aussi l’ordre d’embarquer.
Cet ordre fini par tomber et Bravo se voit assigné la série de wagons de gauche.
À ce moment précis, une chose étrange se produit; tout l’escadron SANS s’être concerté semble avoir décidé de faire la démonstration de son expertise en matière d’arrimage de nos CVR-T sur les wagons. La rivalité entre flamands et wallons prend immédiatement le dessus et il faut absolument que notre arrimage soit terminé avant celui du 2Jp!
Les rames de wagons étant côte á côte et le départ étant donné simultanément c’est d’autant plus motivant.
Je dois néanmoins à la vérité de souligner qu’à cette époque, au niveau soldat, le 4ChCh est constitué de volontaires, ce qui n’est pas le cas des régiments néerlandophones.
Puis tout s’accélère, la première ridelle est abaissée et les chefs de véhicules dont je suis le premier pour bravo commencent à guider leur CVR-T sur les plateformes, imités en cela par le reste de l’escadron.
Quelques minutes et ridelles plus tard j’arrive sur le wagon de tête où nous allons devoir installer notre scorpion solidement à l’aide des cales et de lourdes chaines.
Il ne m’échappe pas que sur la rame parallèle mon homologue du 2Jp a déjà pris beaucoup de retard. Tous les véhicules derrière le mien sont maintenant à leur emplacement et les équipages s’affairent à l’arrimage.
Peu à peu alors que tombe le crépuscule, le bruit de ferraille et de chaines cesse sur notre convoi. Nos équivalents du Nord en sont toujours à batailler avec leurs cales et leurs chaines alors que nous attendons le passage et l’inspection du RTO**.
Puis après l’accord de celui-ci, nous rejoignons non sans fierté les deux wagons « personnels » garés sur une autre voie. Éreintés, et salopette à peine ôtée, nous recevons soudainement un ordre improbable!
Nous devons déplacer tous nos véhicules d’UN WAGON qui vient juste d’être ajouté par la DB* en tête du convoi!!! Là, on ne fanfaronne plus du tout!
IL FAUT TOUT DÉSARRIMER et avancer tout l’escadron d’un wagon!!!
Il faut rapidement se rendre à l’évidence et c’est là que le rôle du sous-officier dont je suis va exprimer toute son importance car il s’agit de remotiver nos équipages pour tout recommencer à zéro.
La pilule avalée, c’est reparti et ce qui doit être accompli l’est finalement sans accros.
La nuit est largement tombée lorsqu’enfin nous rejoignons nos compartiments sous les yeux moqueurs de nos collègues néerlandophones.
Une fois encore c’est dans l’adversité que nous puisions notre valeur et notre esprit de corps. Je me rappelle d’une tortue qui rigolais d’un lièvre …(air connu)
* DB : Deutsche Bundesbahn ** RTO : Railway Trafic Officer