Une figure des Troupes de Reconnaissance

vient de nous quitter.

Par Christian Dams

Notre Rédacteur en Chef m’a demandé d’écrire un mot à l’occasion du décès de l’Adjudant-Major e. r.  Albert Hovine.

Je l’en remercie, même si la tâche s’est avérée bien plus délicate que prévu.

Je me refuse d’aligner des dates et autres chiffres, que ceux auxquels ils sont adressés connaissent et qui n’intéressent en rien les autres.  De même pour les commentaires élogieux qui, même s’ils sont amplement mérités, auraient un goût de réchauffé.

J’ai donc écrit un petit article à lire entre les lignes.

Comme souvent dans ce cas, il est conseillé de réussir à sourire alors que les pensées en viennent à s’humidifier d’elles-mêmes.

Toute sa vie Albert Hovine se fixera une ligne de conduite adaptée à l’idée strictement personnelle qu’il se fait de chaque situation.  Cette ligne sera droite et le restera même dans les nombreux virages qu’il devra immanquablement aborder. Il le fera, souvent taciturne, toujours déterminé.  Dans son vocabulaire, “obtenir” prend le pas sur “demander”. À aucun moment ses chefs n’auront à se plaindre de son travail appliqué, dans une disponibilité efficace.

Fin des années 50.  Un manque de personnel se fait cruellement sentir au sein de l’Armée Belge (…) Un recrutement particulier est organisé :

 « Engagez-vous comme “OTAN” et apprenez un métier ! Après cinq années de formation obligatoirement accomplies, vous rejoindrez la vie civile avec une prime de 100.000 FB ! »

Albert Hovine se voit déjà, la prime en poche, un brevet de mécanicien, d’électricien ou autre technicien en mains, rejoindre sa base civile située à égale distance de deux frontières ; l’une française, l’autre…linguistique.

On l’imagine donc “légèrement” désarçonné lorsqu’il se retrouve très vite à…Lüdenscheid, Chef de Section Mortier au 12ième de Ligne ! 

Après quelques péchés de jeunesse et un engagement au Congo, il est envoyé à Arolsen pour participer à la formation du 17 Recce.

C’est parti pour 26 années, sans discontinuité, dans les Troupes de Reconnaissance.

Ce départ se fait en fanfare ! Hovine forme vite un quatuor remarqué en se joignant aux trois Maréchaux des Logis arrivés en même temps que lui.

La “bande des quatre ” a sillonné (le mot est encore faible) la région d’Arolsen.  André, Fernand, Serge et Albert se verront plus tard séparés puis à nouveau réunis sans jamais pouvoir oublier ces années folles.

Adjoint de Pl, Sous-Officier Transmission puis Adjudant d’Unité : la séquence logique est respectée comme il se doit.  En 1973, le 17 Recce est dissous et sert de base au nouvel escadron C où le Premier Maréchal des Logis Chef Hovine remplit la fonction d’Adjudant d’Unité avant d’intégrer la Branche 4.

(Cela lui permettra, bien plus tard, de mieux comprendre ce Commandant S4, devenu son ami, faisant irruption dans le bureau S3 avec un tonitruant « Salut les Poètes !!» C’était sa façon à lui de marquer la différence entre l’étude et l’adaptation d’une guerre théorique en temps de paix et l’écrasante réalité de la logistique lors d’une manœuvre comme un FTX par exemple.)


L’Adjudant-Major Hovine remplira ensuite la fonction de Sous-Officier Ops jusqu’à la fin de sa carrière en 1998.

Une fois installée à Arnsberg, la famille Hovine (Albert s’est marié et est papa d’un garçon en excellente santé) s’intègre parfaitement à la vie en garnison. 

Leurs contacts avec la population allemande sont nombreux (Bundeswehr, Feuerwehr, Polizei, THW) et sont la source d’amitiés restées indéfectibles.

Ils participent aux activités de tous les clubs qui se sont formés au sein du Régiment, avec une prédilection pour le Cercle équestre dont Albert Hovine restera jusqu’au bout un fidèle pilier.  Sans oublier un club “de Bowling ” qui, organisé par Albert, créera de nouvelles amitiés que, bien plus tard, chaque membre s’empressera de raviver à chaque occasion.

En 1985, Jean-Pierre Tiercet, Albert et moi créeront l’Amicale des 7 et 17 Recce.  Nous vivrons (très bien) dans une parfaite indépendance, avant de nous intégrer à l’Amicale du 4 Chasseurs à Cheval. Tant que son état de santé le lui permettra, Albert participera à toutes les activités de la section.

Dans les dernières années précédant le départ d’Arnsberg du Régiment, le couple Hovine s’installe à Echthausen, un petit patelin à une vingtaine de kilomètres au Nord-ouest d’Arnsberg.  Quelques années après sa mise à la retraite, Albert quittera l’Allemagne pour rejoindre la Mer du Nord où est installée sa maman.  Après le décès de son épouse Herta, c’est sa maman qui le quitte.  Il reste seul (son fils est installé en Allemagne). Albert se plonge alors dans un Club de Bridge où le flamand de son enfance, le néerlandais scolaire et son allemand familier restent inefficaces devant le patois du coin.  Ainsi occupé chaque semaine pendant de nombreuses soirées, il restera l’esprit vif (et critique) jusqu’à son dernier jour.

Contrairement à une idée reçue, Albert ne rejoint pas alors le Paradis des Recce.  Comme tout un chacun, il est d’abord allé au Purgatoire, accompagné de son Ange Gardien.  Ce dernier y sera loué pour ses innombrables interventions menées à bien mais il devra aussi rendre compte de ses échecs.  Ensuite l’Ange Gardien neutralisé pourra se détendre pendant que le pécheur concerné expiera ses fautes.  

Au petit déjeuner, l’unique café autorisé sera toujours servi en retard. Albert se croit en Enfer.  Présomption renforcée quand on lui dit qu’ici, le jogging est matinal…et journalier.

Par après, il est chargé de défendre verbalement, pendant vingt minutes, une thèse sur “ Les bienfaits du sport d’équipe en général et lors du Challenge Cavalerie en particulier”.  Ensuite il doit s’expliquer sur ses relations avec les Manchots, les porte-manteaux, les Chefs Coqs, le REEI et toutes sortes de points pour lesquels votre Ange Gardien reste aussi inefficace qu’inutile et inversement.  Ici, ce dernier finit par se réveiller et parle alors de longues distances au volant d’un camion, de nombreux jours de combat contre la maladie, d’engagements personnels et de bien d’autres victoires dont il laisse Albert détailler la dernière.  

Et Albert d’expliquer comment, lors des dernières années de sa vie à la Mer du Nord, il a appris seul le bridge pour le jouer régulièrement avec des inconnu(e)s qui ne parlent souvent que le patois flamand du coin.

Les Juges se taisent… Ils le désignent comme responsable d’une promenade à cheval. Y sont prévues trois ou quatre femmes fort en verve et un jeune homme qui s’inscrit sur Ulanov.  Albert doit monter Flika qui toute rajeunie pour l’occasion ne cesse d’encenser.  Soudain Ulanov part pour un galop interminable et définitif. Les femmes hurlent à qui mieux mieux et s’égaillent aussi. Albert… s’arrête pour penser et laisse brouter son cheval.  Il pense à Herta, son épouse qui l’aimait tant et que la maladie a emportée depuis bientôt neuf ans.  Il pense à son fils pour lequel ils se sont dépensés sans compter depuis toujours et que l’on n’appellera plus “Junior”.

Ces pensées plein la tête, il rejoint sa monture.  Mais… ce n’est plus Flika. C’est “Bâton rouge”…Son cheval !  À deux (comme tellement souvent) ils reprennent un chemin en pente.  Le décor ambiant est devenu flou.  Albert redescend de cheval.  Pour la première fois depuis des années, il sent réagir la jambe qu’on aurait pu lui couper, sa respiration est normale, il progresse sans le moindre effort. Il rencontre des visages connus qu’il aborde de lui-même, fraternellement.  Il sent qu’ici il n’y a pas de différence entre le mal et le bien puisque…Tout est bien. Pas de doute…

Il est au Paradis.

Je voudrais remercier ici ceux qui m’ont aidé à vous présenter ce texte dont quelques passages ne seront parfaitement compréhensibles que pour ceux qui ont vécu l’épopée.

Merci Jean-Pol, Serge, Norbert.  Merci à d’autres qui l’auraient fait bien volontiers s’ils ne nous avaient pas quittés, quelques-uns depuis très longtemps.

Merci à ceux qui ont pu se déplacer pour accompagner leur ami, leur chef, dans son dernier voyage.  Ils ont pu constater l’absence de certains, frères d’Arme, amis depuis de nombreuses années, beständige Freunde, qui ne sont pas tristes de n’avoir pu être là…  Ils sont meurtris.